Désormais quatre-vingt printemps, un regard malicieux et un petit sourire délicat soulignant le silence, Michel Jouin observe à peine avant de se livrer. Une vie riche au service du trait pour la publicité, le cinéma, une vie d’illustrateur et une retraite sereine de peintre principalement animalier ; il se souvient : « Quand j’étais enfant, avec un ami nous dessinions tout ce qui nous passait devant les yeux. Je dessinais pour le plaisir, beaucoup. Plus tard j’ai tenté le concours pour entrer à l’école supérieure des arts appliqués de Paris. J’avais les meilleures notes en dessin, mais pour les matières générales, il en allait tout autrement. » Espoir déçu à cause d’une note éliminatoire et voilà que notre jeune dessinateur apprenti, se retrouve dans un atelier travaillant exclusivement à la décoration des façades des cinémas, à l’occasion de la sortie des nouveaux films. « J’avais tout à apprendre alors, poursuit Michel. J’y suis resté trois ans à dessiner et à peindre. »
Il allait détourner un temps son attention du cinéma pour passer d’agence de pub en agence de pub. Il mettait en page et parfois dessinait. Puis l’envie lui prit de frapper à la porte des éditeurs. C’est à cette occasion qu’il rencontra Jean Bruce, auteur de la série de romans d’espionnage OSS117 aux Editions Presses de la Cité. Entre l’auteur, l’éditeur et l’illustrateur, il fut décidé de redessiner toutes les couvertures des ouvrages de la série, mais le décès du premier, mit un coup d’arrêt définitif à ce projet.
Michel reprit son bâton de pèlerin et Hachette lui confia l’illustration de quelques livres pour adolescents, couverture et pages intérieures. Il passa à la vitesse supérieure chez GP Éditions, pour lesquelles il illustra une collection de romans pour adultes. « Je travaillais principalement sur le thème de l’aviation et de la marine de guerre, explique Michel. Je suis devenu un spécialiste dans ce domaine, car j’avais l’obligation de dessiner au plus près de la réalité. » Michel se transformait alors en historien accumulant les témoignages visuels avant de laisser aller sa maîtrise du trait.
Quelques deux cents affiches de campagne publicitaire plus tard, réalisées au sein de différentes agences de communication, son art de la représentation attira l’œil de Steven Spielberg alors en quête d’un illustrateur français pour l’affiche de la version française d’Indiana Jones. « La photographie dans la pub comme au cinéma n’était pas à la mode pour les affiches, déclare Michel. Le dessin permettait une plus grande liberté dans la création. »
Le retour du Jedi, la cage aux folles, le dernier tango à Paris, les misérables, il était une fois la révolution, l’enfant sauvage, les sept mercenaires, le vieux fusil, Manon des sources et Jean de Florette pour lesquelles il fut nominé aux Césars, et tant d’autres films lui doivent leur image d’accroche. Pas de César pour Michel, mais son fils Gil qui travaillait alors avec lui, l’obtint pour l’affiche de cinéma Paradiso. « Bien sûr c’est mon agent qui s’occupait des contacts avec les producteurs et les réalisateurs, moi je dessinais, affirme Michel. Je faisais quelques crayonnés en guise de projet et c’était parti. »
Trop modeste c’est sûr, notre illustrateur a côtoyé également des acteurs un peu pointilleux sur leur image comme Alain Delon ou Yves Montant et d’autres vraiment conciliants comme Jean-Paul Belmondo. « Moi j’avais pour mission de représenter le personnage du film sur l’affiche et non l’acteur en lui-même, rouspète-t-il encore. Certains voulaient être plus valorisés que ce que la réalité donnait à voir. »
Pour créer une affiche, rien de plus simple ! À partir de photographies prises pendant le tournage, Michel composait et dessinait des personnages dans le décor sur le papier en tenant compte de l’emplacement du titre et de la mention des acteurs principaux… Il menait alors une vie trépidante, l’impression d’être toujours en retard sur le temps qui file. Un certain stress l’accompagnait d’aéroports en hôtels, jusqu’à sa table à dessin, mais il aimait cette vie-là. Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. « En trois mois j’ai perdu mon travail, lance Michel. Je ne voulais pas franchir la barrière du passage à l’informatique, car j’étais foncièrement contre. Je ne considérais pas cette mutation comme une évolution de mon métier, mais plutôt comme un appauvrissement. »
La période qui suivit fut sensiblement troublée, mais Michel, fort bien soutenu par son épouse et jamais à court d’énergie, se passionna pour la peinture animalière à l’occasion d’un voyage en Tanzanie. Dans ce domaine, il sut aussi s’imposer comme une référence, mais le rythme de travail avait changé. « Je vivais alors sans la nécessité forcenée de gagner beaucoup d’argent, sourit-il. J’avais un trésor de guerre. » Aujourd’hui il continue à peindre et à dessiner, il est même devenu l’un des artistes de la Fondation Taylor, à Paris. Le temps des expositions et des salons semble loin, mais il suffirait de si peu de chose pour que la flamme brille à nouveau. Il ne ressent plus autant qu’autrefois, le besoin de créer. Il avoue qu’avec le recul des années passées, il a vécu une vie professionnelle unique et privilégiée et qu’il lui serait ingrat de s’en plaindre. « Nous sommes arrivés en 1988 en Ardèche et quel plus beau lieu pour une retraite », conclut Michel.