Artiste conscient nageant entre deux eaux.
Face à un Monde qui se fragmente et se replie sur lui-même, face à notre Monde qui se perd, Jean Amoros, peintre et de plus en plus écrivain, oppose l’art comme outil pour tenter quelques réponses à tant d’interrogations.
L’immensité de l’eau, quelques îles jetées à la mer comme des possibles, pour imaginer un autre Monde, des créatures marines, toute une mythologie à recréer pour croire à nouveau au sacré et trouver un sens.
L’atelier de Jean Amoros nous dévoile un univers dans lequel chacun peut composer sa propre histoire de vie. Le point commun entre ses œuvres, abouties ou en devenir, est la traduction par l’acte artistique d’un Monde qui se perd. Comme des bouteilles à la mer, ces œuvres picturales appellent à un sursaut, une prise de conscience, une sorte d’urgence. Tout ici évoque un rétrécissement du macrocosme et l’artiste, à sa mesure, tente d’en dessiner les lignes fragiles d’un nouveau. Poséidon couronné de poissons pour une œuvre intitulée "Je reviendrai " : et si le retour à une mythologie d’aujourd’hui était notre planche de salut ? "Depuis l’enfance j’ai toujours essayé de déchiffrer l’invisible, assure Jean. J’ai toujours ressenti le besoin d’aller plus loin que ce que je voyais."
Jean est né en Algérie. Après des études aux Beaux Arts de Lyon, il participa à la création du collectif Artstarats au milieu des années quatre-vingt. Déjà il œuvrait en dérangeant et déstabilisant pour que l’art fasse poser ou pose des questions. Pas de militantisme dans sa démarche, juste un regard sur l’existant. Avec la dissolution du collectif, il poursuivit son chemin pendant une dizaine d’années en tant qu’artiste et travaille auprès des jeunes et des moins jeunes, en réinsertion ou en marge. Toute son humanité, qui incontestablement est vaste, trouvait son épanouissement dans ces démarches artistiques d’accompagnement et de transmission. Parallèlement à cette époque, il quitta Paris pour s’installer en Ardèche. Un petit passage par l’extrême sud du département et il tomba amoureux, entre autre, d’Alba-la-Romaine pour ses aspects patrimonial et culturel, pour la fraternité et le dynamisme animant ce village. "Les difficultés matérielles de la vie d’artiste indépendant m’ont amené à devenir professeur d’arts appliqués, poursuit-il. J’aimais transmettre." Même si cette activité nouvelle l’éloigna pour un temps de son atelier.
Depuis quelques années, il a renoué avec sa nature profonde d’artiste "libre", tout en poursuivant sa mission d’enseignant. Il pénètre désormais dans son atelier, sans concession. "Un artiste est un chercheur, lance-t-il. S’il exerce en dilettante, il peut arriver à se faire plaisir, mais il ne "cherche" pas. Je travaille beaucoup autour de l’océan, de cette nappe d’eau où l’invisible se fragmente." Jean, en qualité d’artiste, nage véritablement entre deux eaux. Si sa nature première se montre résolument joyeuse et fédératrice, un bon vivant quoi, sa nature profonde flirte avec le pessimisme qui semble avoir envahi son intimité tout en nourrissant son art. Il s’interroge beaucoup, tout le temps, et essaie d’apporter à chacun à travers ses œuvres quelques éléments de réflexion. Il a réalisé une série acrylique sur ferraille où est malmené l’univers des poissons. "Le poisson, symbole de richesse et d’abondance, au pouvoir de régénération cyclique dans les différents paganismes européens et symbole de sagesse et de fécondité dans les mythologies indo-européennes se meurt, mute et dérive au gré des excès de notre Monde, explique Jean en quelques lignes de présentation." Des maquereaux et des sardines se trouvent figés sur un fragment de papier glissé dans une bouteille constituant la série "Bouteilles à la mer". Quant aux "Encres et empreintes", nom d’une troisième série, elles évoquent la lutte et le souffle de la vie des céphalopodes. "Les pieuvres et les calamars me fascinent, sourit Jean. Ces animaux intimement liés à la mythologie me donnent l’impression qu’ils sont en perpétuelle fuite."
Son travail artistique n’est pas conceptuel. Il permet de révéler le Monde. Nul besoin de clef pour comprendre et embrasser son univers dans lequel chacun peut naviguer selon son histoire. Mais peindre ne lui suffirait-il plus ? Jean écrit, de plus en plus, des textes sur des îles imaginaires qu’il aime comme les derniers lieux sacrés et privilégiés où tout peut renaître, différemment. Les mots et les expressions de ces textes sont forts et riches, les images véhiculées par l’imaginaire du lecteur. Pourtant Jean ressent le besoin de mettre ses textes en esthétique pour leur donner vie, enfermés qu’ils sont, par les contours sinueux d’un littoral composé et toujours renouvelé. "Je veux donner une réalité à ce que j’écris, nous affirme-t-il. Une île. Quand on est seul sur une île, on a tout à faire, on peut se sentir libre ou enfermé… Je me demande si petit à petit, je ne deviens pas plus écrivain que peintre, c’est une période de transition difficile pour moi, et je ne sais rien de l’avenir. En revanche ce dont je suis sûr, c’est que les îles sont pour moi, les premiers pas vers la création d’une mythologie disparue."