Art du verre, maîtrise du feu.
Lauréat de la 3eme édition du prix L’œuvre de la fondation Ateliers d’Art de France, Antoine Brodin a imaginé une pièce unique en verre soufflé et sablé de quatre mètres de long !
La carcasse d’une barque ayant trop navigué, dans laquelle on peut voir aussi le squelette d’une baleine échouée ou la naissance d’un bateau. Cette œuvre grandeur nature est une porte ouverte à l’imaginaire !
Depuis un an, l’atelier d’Antoine Brodin, souffleur de verre, et de Celia, sa compagne créatrice de bijoux en verre, vit au rythme de la lumière du verre en transformation, du feu et de la chaleur des fours. Ils arrivaient tous les deux de la pépinière d’artistes de Chandolas, quand ils décidèrent de poser leurs outils entre les murs et sous le préau de l’ancienne école de Saint-André-de-Cruzières. Ce petit village fut donc le but, temporaire ou définitif, du long chemin d’apprentissage d’Antoine, d’atelier en atelier, de pays lointain en village d’à côté.
« J’ai grandi à Nantes, nous annonce Antoine. J’ai grandi non loin du bord de la mer, de l’océan et depuis toujours, les bateaux m’attirent, d’où l’idée de mon œuvre. » Il découvrit le verre grâce à la lumière traversant le verre des vitraux, puis il rencontra le verre soufflé. « Le soufflage c’est comme une danse avec la matière vivante qu’est le verre. Ce dernier possède énormément de mémoire et tout ce qu’on lui fait subir, il nous le rend en bien ou en mal. C’est pour cela que j’essaye de caresser le verre. J’ai tenté de travailler d’autres matières, mais le verre c’est une autre dimension. » Un petit tour en Dordogne, à Montréal, en Lorraine, sur l’île de Murano à Venise, au musée du verre à Carmaux, au Japon, à Paris, dans des ateliers et des centres de formation, afin de suivre un apprentissage hors normes et parfaire ses connaissances, et voilà Antoine maître de son art. « J’ai consacré dix ans à apprendre les différentes techniques et aujourd’hui, je suis libre de penser à l’esthétique, reconnaît-il. L’esthétique se gagne avec la maîtrise de la technique, sans cette dernière rien n’est possible. Je voulais faire un tour le plus large possible des ateliers pour avancer en ce domaine. » Les techniques de façonnage du verre sont les mêmes partout dans le Monde, mais la mise en œuvre et la façon d’appréhender le travail sont différentes. « Tout ce que j’ai acquis au fil des années et des voyages me permet à présent de souffler les formes que je désire. » Il dit que dix mille heures sont nécessaires pour maîtriser les différentes techniques, après, l’imagination et la sensibilité de l’artiste font le reste. Antoine, avec ce voyage initiatique au long cours, s’est donné les moyens de ses ambitions.
Aujourd’hui, c’est dans son atelier qu’Antoine nous accueille. Deux vastes pièces, d’anciennes salles de classe de l’école, sont consacrées à l’art du verre ; une pour les bijoux de Celia, l’autre pour les créations d’Antoine. Les anciens tableaux au mur, et quelques autres objets évoquent un passé scolaire récent, mais partout et sous toutes les formes le verre impose sa présence. Un lieu insolite pour un atelier. Le préau à l’autre bout de la cour ne résonne plus des cris d’enfants joyeux. Dans le silence retrouvé, les fours rendent le verre malléable à la volonté de l’artiste. « J’aime bien créer des objets du quotidien, mais je veux surtout avoir du temps pour façonner des pièces artistiques. »
Antoine est un artiste intuitif, tantôt dans l’action et l’adrénaline du travail à chaud, tantôt plongé dans la méditation du travail à froid. Il souffle le verre en fusion pour lui donner des formes probables et ensuite, il sable le verre refroidi pour en faire de la dentelle. L’idée de son œuvre « Migration » se veut la représentation d’une barque qui a tant voyagé, qu’elle est venue s’échouer sur la grève. Il n’en reste que la membrure que le temps ronge peu à peu. Mais on peut y voir tout aussi bien, le squelette abandonné d’une baleine que le temps use inexorablement. L’idée du squelette était déjà présente dans le travail d’Antoine quand, à la fin de son apprentissage, il réalisa une colonne vertébrale et ses côtes, le tout en forme de point d’interrogation. « Je veux interroger par cette œuvre, mais en aucun cas je ne veux tomber dans le symbolisme. Les motifs qui seront sablés sur le verre ne représenteront sans doute rien d’autre qu’un esthétique entrelacs de cordage. » Des tubes soufflés d’une couleur rouge rubis montés sur une armature métallique, qui sera noyée sous le sable, en forme de barque usée de quatre mètres cinquante de longueur : voilà ce que sera « Migration ».
Bien avant de présenter son dossier pour ce prix de L’Œuvre de la fondation Ateliers d’Art de France, cette pièce hantait l’esprit d’Antoine. En arrivant à Saint-André-de-Cruzières il construisit des fours d’une dimension, qui ne lui en interdiraient pas sa réalisation un jour. Et quelques mois après son installation, il devenait le lauréat de ce prix. Le hasard n’existe pas. « Ce prix est une belle reconnaissance de mon parcours et de mon travail, se réjouit-il. Pendant neuf mois, je suis financé pour le réaliser. L’œuvre sera dévoilée au début du mois d’avril dans un lieu prestigieux à Paris, mais avant qu’elle parte, j’aimerais pouvoir la montrer en Ardèche, pourquoi pas au château de Vogüé, j’aimerais bien. »
Devant son four, une canne à souffler à la main, Antoine réalise les derniers essais avant de passer à la production. La couleur rouge rubis lui pose de multiples problèmes. Elle est instable, le verre trop étiré et elle devient rose, le verre trop chauffé et elle vient brune. Le sablage sur des formes aux courbures si prononcées l’inquiète également. « Je me mets chaque jour en zone d’inconfort et ça me réveille la nuit, avoue Antoine. Sans cesse il faut que j’imagine des solutions. C’est un véritable défi, mais j’aime ça. » Pour réaliser cette pièce unique si grande, il n’est pas seul autour des fours. Deux verriers l’assistent : Jérémy David qui a travaillé quelques années à la cristallerie de Saint-Louis et Maxime Bocquet qui, comme Antoine en son temps, fait le tour des ateliers pour apprendre.
Et pour Antoine, que sera l’après « Migration » ? La réalisation de cette œuvre et l’obtention de ce prix auront durablement marqué sa jeune carrière artistique. De nouveaux horizons s’ouvrent à lui. Déjà, sans trop vouloir se projeter dans l’avenir, il imagine un nouveau défi à la hauteur de ses rêves… En attendant, espérons juste que nous aurons le bonheur de pouvoir admirer « Migration » en Ardèche avant son départ pour Paris !