Les arbres remarquables

Article paru en juillet 2022
Mis en ligne en juillet 2022

Disséminés de ci de là, quelques très vieux arbres, qualifiés de remarquable, persistent à défier le temps et les saisons. Au cœur de la forêt, au sein d’un parc façonné par l’homme ou encore d’une façon improbable perché sur la verticalité calcaire d’une falaise, ces arbres remarquables font l’objet de toute s les attentions et d’études scientifiques poussées.

Ils sont quelques-uns en Ardèche à mériter un détour pour prendre le temps de les admirer. Nous en avons sélectionnés quatre en complément de ce dossier où d’autres y ont trouvé leur place comme le très vieil hêtre de Borée. Quatre sont aisément accessibles : le châtaigner millénaire de l’Hermet à Desaignes, le séquoia du parc thermal à Vals-les-Bains et l’orme de Saint-Agrève. Le quatrième est en réalité un petit groupe d’arbres perchés au-dessus du grand vide des gorges de l’Ardèche : les genévriers de Phénicie, également millénaires. On ne peut les voir aisément, mais ignorer une telle richesse aurait été malvenu…
 

Le châtaignier de l’Hermet à Désaignes

Arbre on ne peut plus symbolique de l’Ardèche et de ses traditions rurales, le châtaignier est surnommé avec justesse l’arbre à pain. Tout était bon chez lui : son bois pour le chauffage et la construction, ses feuilles pour la litière et ses fruits pour la nourriture humaine et animale…
Combien en a t’il nourri des humains et des sangliers le châtaignier de l’Hermet ? On le dit plus que millénaire ; il serait le plus gros et le plus vieil arbre d’Ardèche. Cela reste à prouver, mais peu importe les records, l’important est sa présence à flanc de colline depuis si longtemps. Sa taille aussi laisse rêveur : plus de dix mètres de circonférence. Malheureusement son aspect n’est plus ce qu’il était autrefois. Son tronc creux le fragilise et seules quelques branches donnaient encore naissance à des feuilles chaque saison, il n’y a pas si longtemps. Est-il mort maintenant ? Ce début de troisième millénaire lui a t’il été fatal ?
Un arbre exotique
Le châtaignier est tellement présent dans le paysage ardéchois qu’on oublie qu’il fut un arbre exotique à l’origine. Certes des archéologues ont retrouvé en 1994 une feuille fossilisée de cet arbre et même une châtaigne datant du Miocène supérieur, c’est-à-dire entre vingt-trois et cinq millions d’années avant notre ère dans des couches sédimentaires du massif du Coiron, mais le châtaignier trouve son origine en Asie Mineure. Présent donc avant les grandes glaciations du quaternaire qui le firent disparaître un temps, il reprit son développement ardéchois à partir du néolithique. C’est à l’époque romaine que la châtaigne devient objet de récolte et que la culture du châtaignier se généralise autour de la Méditerranée. Quant aux premières greffes dans le but d’améliorer la qualité et la grosseur des fruits, il faut attendre le XIIIème siècle.
Ainsi le châtaignier de l’Hermet fut un illustre descendant des premiers arbres ; un parmi tant d’autres, mais lui, il a su défier le temps et les siècles. Il est amusant de constater qu’il trouve racine exactement sur le quarante-cinquième parallèle, à quelques degrés près, penchant à peine du côté nord.
Si d’un côté son tronc évoque un vénérable ancêtre, il suffit de tourner autour pour découvrir un drame qui a sans aucun doute raccourci notablement son espérance de vie. Il fut victime d’un incendie. L’histoire populaire raconte que lors d’une froide journée de 1928, une bergère trouva refuge au sein de son tronc déjà creux. Elle était accompagnée de ses sept chèvres. Tremblant de froid, elle alluma un feu pour se réchauffer. Après son départ, le feu couvant toujours sous la cendre reprit de la vigueur et brûla une partie de l’arbre. Le noir du feu et de la fumée est encore visible aujourd’hui, presqu’un siècle après. Sans cet incendie, que serait devenu le châtaignier de l’Hermet ?

S’Y RENDRE
Depuis Désaignes, suivre la route de Saint-Agrève et à mi-chemin, tourner à droite en direction du Gîte et du hameau de l’Hermet. Rester sur la route la plus à droite, toute petite puis à pied un chemin en terre et, sous les frondaisons, suivre un bon sentier caillouteux.

Les genévriers de Phénicie dans les gorges de l’Ardèche

La nature est bien surprenante et le monde végétal prend parfois racine là où on l’attend le moins. à l’image des célèbres gorges du Verdon, où un genévrier de Phénicie affiche fièrement ses presque 1 150 ans du haut de sa falaise, les non moins célèbres gorges de l’Ardèche possèdent aussi ses sites à genévriers de Phénicie. Comme ils sont inaccessibles autrement que par le moyen d’un encordement, ces arbres ont poussé en toute tranquillité, loin de l’exploitation humaine.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les falaises des gorges de l’Ardèche représentent un environnement de choix pour les genévriers de Phénicie. Falaise des Huguenots ou d’Autridge, le monde minéral laisse sa verticalité perturbé par le monde végétal. Une perturbation lente, presque immobile tellement ces arbres poussent lentement.
Tous millénaires ?
Au sein de tous les sites répertoriés, les arbres morts et les vivants furent soigneusement étudiés en collaboration avec la Société Botanique de l’Ardèche, la Réserve naturelle des Gorges de l’Ardèche et les futurs techniciens supérieurs de la section Gestion et Protection de la Nature du Lycée Agricole d’Aubenas. En récoltant des troncs morts tombés au pied des falaises, les scientifiques ont pu découper des tranches de bois, les poncer et en compter le nombre de cernes à la loupe binoculaire. à chaque fois, le résultat fut surprenant, l’approche ou le dépassement du millénaire étant au rendez-vous. Les carottes de bois sur les arbres encore vivants donnèrent des résultats plus aléatoires en fonction de l’asymétrie des troncs et de leur croissante fantasque.
Prendre son temps
Cet arbre a une croissance si lente que les troncs les plus vieux ne dépassent pas quelques dizaines de centimètres de diamètre. Celui, ramassé au pied de la falaise du Manteau Royal suite à un éboulement, se déclinait en 1 500 cernes, soit un âge respectable d’un millénaire et demi. La datation au carbone 14 d’un autre arbre annonçait 2 520 ans pour seulement 577 cernes : où est l’erreur ? Soit cet arbre était mort depuis très, très longtemps, soit il manquait une partie extérieure de son tronc, soit les cernes ne sont pas toutes inscrites dans le bois. Pour cette dernière hypothèse, on peut imaginer que l’arbre se met au repos, hors croissance en quelque sorte, pendant les périodes difficiles de sécheresse par exemple. Dans tous les cas, cet écart pose maintes questions sur l’âge réel des arbres ?
Une certitude : ces forêts de falaise que sont les sites de genévriers de Phénicie, comme les nomment les spécialistes sont peut-être les seuls et derniers milieux totalement vierges de tout impact humain en Europe, particulièrement dans les gorges de l’Ardèche. En falaise, pas de grands herbivores broutant, pas d’incendies, peu d’effets des tempêtes, juste les chutes de pierre qui peuvent abîmer les arbres accrochés au-dessus du vide quand ils ne sont pas installés sous un surplomb. Ceci-dit on peut se demander comment la graine d’un arbre a pu arriver dans la fissure d’un rocher vertical ou même déversant et surtout comment elle a pu germer. Pour le transport de ces graines, le genévrier dans nos gorges a pu compter sur le soutien des fouines et de quelques oiseaux comme le choucas des tours ou le merle bleu. Quant à sa germination ou non, cela reste un mystère : le grand mystère de la nature !
 

S’Y RENDRE
Il est presque impossible d’admirer de près ces arbres perchés au milieu des falaises des gorges de l’Ardèche.

Le séquoia du parc à Vals-les-Bains

Les parcs des stations thermales ont la réputation d’être quelque fois de vrais arboretums. Au long de leurs allées et au milieu de leurs pelouses et massifs, l’exotisme s’y épanouit pour le plus grand plaisir des visiteurs. Le parc de Vals-les-Bains ne fait pas exception à cette règle : les surprises y sont nombreuses. On y trouve tout d’abord la source intermittente dont le jaillissement programmé attire de nombreux curieux et puis il y a quelques arbres dont le port incite au respect.
Parmi ces arbres, le séquoia Red Wood occupe une place de choix. Il est désormais officiellement classé parmi les arbres remarquables de France par l’association ARBRES (Arbres Remarquables Bilan Recherches études Sauvegarde). Il faut savoir qu’en forêt publique, le premier recensement de ces arbres exceptionnels fut réalisé en 1911 puis mis à jour et complété en 1935 et 1995.
La sentinelle
Dominant les autres arbres du parc, les toits des maisons et la Volane du haut de ses 54 mètres, ce séquoia ne vit encore que sa prime jeunesse. Et ses dix mètres de circonférence ne demandent qu’à croître. Le séquoia est l’arbre le plus grand sur notre planète. à l’âge adulte, il peut dépasser les 110 mètres de hauteur, donc deux fois celle de celui du parc de Vals-les-Bains, qui est pourtant déjà le plus grand d’Europe !
On ne connait pas avec exactitude la date de sa plantation mais il parait crédible qu’elle est due aux architectes-paysagistes Luizet père et fils, Marc et Antoine en 1867, une année après avoir dessiné et façonné le parc thermal. à cet âge respectable, il convient d’ajouter une quinzaine d’année puisque les séquoias ne furent importés en France qu’à partir de 1860, depuis la Californie, et on peut penser que pour l’effet recherché, les créateurs du parc n’ont pas planté un tout jeune arbre.
Les séquoias étaient autrefois présents en Europe, mais ils n’ont pas résisté aux dernières périodes de glaciation ; des traces fossiles retrouvées en attestent. Son retour en Europe dans la seconde moitié du XIXème siècle pour décorer les jardins des maisons bourgeoises et les parcs urbains n’en est que plus légitime. Le séquoia de Vals-les-Bains retrouve ainsi la place perdue, et sans doute pour très longtemps encore…
 

S’Y RENDRE
Le parc de Vals-les-Bains, où se situent le séquoia et la source intermittente, se trouve en rive gauche de la Volane, à deux pas des thermes rénovés. La source jaillit en été toutes les six heures, aux environs de 11h30, 17H30, 23h30 et 5h30.

L’orme de Saint-Agrève

Cet orme vénérable est un rescapé de son espèce. Depuis 1925, l’orme est décimé par la graphiose, un champignon que propage un coléoptère creusant des galeries dans le tronc des arbres adultes. Le champignon passe alors sous forme de levure dans la sève et bouche les vaisseaux alimentant le bois jusqu’à ce que l’arbre meure. La graphiose est aussi nommée maladie hollandaise de l’orme mais son origine est sans doute asiatique. Toutefois c’est aux Pays-Bas qu’elle fit son apparition pour la première fois au début des années vingt, puis une nouvelle souche, encore plus virulente que la première, est arrivée en 1970. Depuis les ormes sont de moins en moins nombreux.
Un rescapé
Autrefois taillés ils ornaient les haies et aussi poussaient en plein vent pour atteindre une trentaine de mètres de hauteur. Avec son port altier et magnifique, cet arbre offrait un excellent bois d’œuvre fort apprécié des ébénistes. Difficile d’évaluer l’âge de l’orme de Saint-Agrève, pourtant ce dernier se dresse fièrement sur un petit promontoire herbeux, au milieu de hêtres non moins vénérables, et atteint une belle hauteur avec un tronc imposant. Il faut prendre le temps de l’admirer car il est tellement rare de croiser l’ombre d’un orme aujourd’hui et de pouvoir s’y reposer.
Les Grecs associaient l’orme au dieu des songes et de la nuit, Oneiros, fils d’Hypnos, dieu du sommeil et frère de Thanatos, dieu de la mort. L’orme était aussi associé à Hermès et ses fruits portant comme de petites ailes guidaient l’âme du défunt pour leur dernier voyage. Et qui accompagnera l’orme à l’occasion de son dernier voyage ?

S’Y RENDRE
Le parc de l’hôpital de Saint-Agrève, qui sert aussi de parking, est accessible à l’entrée de la petite ville.

Texte : Bruno Auboiron
Clichés : Bruno Auboiron, Olivier Peyronel