La forêt des Sens

Article paru en juillet 2022
Mis en ligne en juillet 2022

La forêt ardéchoise présente de nombreux visages. Sur l’échelle de sa présentation, d’une extrémité à l’autre, elle peut être presque totalement naturelle, à peine modifiée par les activités humaines, aménagée ou cultivée pour l’approvisionnement en bois.  

La forêt de la colline du Devois se situe quelque part entre ces deux extrêmes. Elle est une forêt toute jeune au regard de la longévité des arbres, elle est à peine entrée dans l’adolescence. Fruit de la volonté des hommes, elle s’offre à la visite tout au long d’un sentier des Sens ludique, didactique et pédagogique dans un environnement de cèdres et de pins.

Renaître après l’incendie
Jusqu’au XIXème siècle, la forêt sur la colline du Devois se résumait à quelques bosquets épars à cause des activités agricoles, culture et élevage. Au début du siècle suivant, deux hommes, messieurs Ribaud et Deguilhem, propriétaires de parcelles sur cette colline abandonnèrent la culture de sa terre, trop pauvre à leur goût, et plantèrent des pins et des cèdres. En 1967, par don de la Société Scolaire Forestière du village, la commune de Villeneuve-de-Berg hérite de 44 hectares de cette forêt nouvelle. Elle en confie la gestion à l’Office National des Forêts. Petit à petit, la commune acquiert des terrains et agrandit sa forêt. La catastrophe se produisit en 1989, année de sécheresse ; 80 hectares de la colline du Devois partent en fumée, dont dix de forêt. L’effort communal ne se relâchera toutefois pas et la forêt ne cessa de prendre de l’ampleur entre 1992 et 1994. Elle est essentiellement plantée en cèdres mais vingt-quatre espèces différentes, entre principalement résineux et quelques feuillus, s’y épanouissent.
C’est aussi à ce moment-là que fut créé, avec les enfants des écoles de Villeneuve-de-Berg, l’arboretum à vocation pédagogique et expérimentales donnant à découvrir les différentes essences présentes par leur nom vernaculaire. Puis vint le sentier de la forêt des Sens sur une idée du conseil municipal des jeunes. C’est celui-ci que nous vous proposons de parcourir en prenant votre temps pour réveiller tous vos sens. Mais attention, il ne faut pas imaginer son parcours délicieusement ombragé par une journée d’été caniculaire. La forêt de la colline du Devois est une forêt jeune alors nous marchons toujours en terrain dégagé ; nous sommes environnés d’arbres mais nous ne sommes jamais sous les arbres !

Des sens pour donner du sens
Nos pas nous conduisent au premier atelier « Fais résonner les bois ». à l’aide d’un xylophone, le bois chante et son chant traduit la densité de chaque lame façonnée dans une essence différente. Peuplier, chêne pubescent, tilleul, merisier, robinier que l’on nomme à tort acacia : chaque essence possède ses qualités propres, toujours tempérées par les conditions de sa croissance. Le second arrêt propose de « Prendre le temps d’écouter pour bien entendre ». Entre les chants des oiseaux, les craquements du bois, le sifflement du vent, les cloches de l’église du village tout proche et d’autres bruits et sons non identifiés, qu’entendez-vous ? Que pouvez-vous nommer ? Bien sûr, il ne faut pas oublier au passage une petite visite à la table paysagère décrivant le panorama sur la dépression de la vallée de l’Ardèche et au loin les montagnes du Tanargue, le rocher d’Abraham et le mont Aigu, et les Cévennes.
Encore quelques pas et nous voilà arrivés au pied d’une fort bel arbre. « ça pique, ça colle, ça gratte, ou c’est doux… » : tel est le programme. Dans la nature, certains végétaux comme les ronces et les acacias possèdent des épines pour protéger leurs feuilles des prédateurs à quatre pattes, d’autres du duvet sous leurs feuilles pour lutter au mieux contre l’évaporation de l’eau. Quant à l’écorce des troncs des arbres, elle se fissure en vieillissant. Bref, tout un panel de sensations sur la peau quand on ferme les yeux et qu’on laisse glisser sans crainte sa main autour de soi. 

Evolution naturelle
La grande piste caillouteuse se déroulant sur l’échine de la colline cède sa place à un chemin herbeux descendant et proposant une magnifique vue sur la campagne environnante et la barre de montagne à l’ouest. L’endroit est idéal pour se demander : « Vois-tu ce que je vois ? » La contemplation du paysage nous indique son passé et son présent. Entre les murs d’épierrage, témoignage de l’activité humaine modifiant le paysage, d’anciennes vignes ploient sous la dynamique végétale de la garrigue des genêts et des cades. Des petits fruitiers sauvages s’installent avant l’arrivée de la forêt, ultime étape du processus de colonisation. Que sera le paysage de demain ?
Petit écart par un petit sentier en terre sous les frondaisons des résineux et nous voilà au cinquième atelier : « Laisse-toi mener par le bout du nez ». Nous avons perdu la capacité dont disposaient nos ancêtres, celle de sentir la nature. Il nous faudrait réapprendre. Après l’odeur, vient le goût et « Tous les goûts sont dans la nature ». Pendant des siècles la forêt, ses baies, racines et champignons, a nourri et soigné les humains. Aujourd’hui bien peu nombreux sont ceux ramassant le puissant ail des ours, les délicates fraises des bois ou les mûres juteuses gorgées de soleil. Attention, si la nature sait se montrer généreuse, elle sait aussi tendre des pièges. Il faut apprendre avant de goûter.

De l’importance de la forêt
Sous deux très beaux cèdres nous attend le dernier arrêt et une vue à couper le souffle sur Villeneuve-de-Berg. Là, nous apprenons : « Olivier de Serres avait raison. » Cet agronome du XVIème siècle ne disposait pas de toutes nos connaissances modernes mais il savait toute la richesse et l’importance de la forêt. Il écrivait à son propos : « Ce sont les forêts qui fournissent le bois pour la cuisson des aliments, pour la construction et l’ameublement, pour faire du charbon, de la chaux, des briques, des tuiles, des ustensiles en terre ou en verre, pour fondre les minerais, pour mille autres choses utiles, nécessaires et plaisantes comme abriter une infinité d’oiseaux. Si dans les forêts on n’a pas le plaisir de voir l’élégance des fontaines, on a celui de l’ombrage, de l’agréable séjour sous les arbres en toute saisons, même en hiver lors des grands froids. » 
Voilà tout est dit de cet agréable séjour passé en compagnie des jeunes arbres de la colline du Devois. Il ne nous reste plus qu’à nous promener d’arbre en arbre sur l’espace de l’arboretum…

S’Y RENDRE
Depuis le centre de Villeneuve-de-Berg, il faut emprunter la petite route menant à Saint-Andéol-de-Berg. Dès les dernières maisons, une petite route monte au parking de la forêt des sens.
A faire, à voir 
Le domaine Olivier de Serres au Pradel, les balmes de Montbrun, le village perché de Mirabel…
Renseignements : www.youtube.com/watch?v=ui86pGP2ejo
Pratique
Visite libre sans aucune difficulté sur 2 000 m de sentier balisé avec panneaux d’information.

Texte et clichés : Bruno Auboiron